02/2024
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Une étude sur la tolérance de la réalité virtuelle en EHPAD !

Estelle Bonin
Estelle Bonin
Chargée d'études cliniques

L'un des objectifs de Lumeen est de développer des collaborations scientifiques afin d’évaluer les bienfaits de notre solution de réalité virtuelle. Aujourd’hui, nous sommes heureux de vous présenter les résultats de l’étude RAVI : « Tolérance de l’utilisation de la Réalité virtuelle auprès des sujets vivant en Établissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) ». Cette étude a été menée dans le cadre d’une thèse au sein de L’Institut des Sciences du Sport-Santé de l’Université Paris Cité, en partenariat avec Gérond’if (le Gérontopôle d’Île-de-France) et Lumeen. Elle porte sur la tolérance (capacité du sujet à supporter l’expérience immersive au niveau psychologique et physiologique) et l’acceptation (accord implicite ou explicite du sujet à porter le dispositif ) de la réalité virtuelle avec visiocasque chez les personnes âgées vivant en EHPAD.

Tolérance, acceptation et cybercinétose

Les visiocasques (aussi appelés casques de réalité virtuelle), tels que ceux inclus dans la solution Lumeen, permettent d’isoler l'utilisateur de son environnement en stimulant deux de ses sens (la vue et l’ouïe) pour lui donner une sensation d’immersion dans la réalité virtuelle. Cependant, l’utilisation d’un visiocasque peut parfois engendrer de la cybercinétose pendant ou après l’immersion, ce qui peut être un frein à l’usage de cette technique1. Avant de vous présenter les résultats de cette nouvelle étude, commençons par définir ce qu’est la cybercinétose.

La cybercinétose, qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit d’un effet secondaire courant de la réalité virtuelle, qui comporte 3 composantes2 :

  • La première composante est une sensation d’inconfort, voire de nausée qui s’apparente à ce que l’on peut ressentir lorsque l’on souffre de mal de transport. Ceci est dû à un conflit sensoriel entre notre vision et le système vestibulaire de notre oreille interne (responsable du maintien de l’équilibre). Cela se produit notamment lorsque les mouvements que l’on observe dans le visiocasque ne correspondent pas à ce que notre oreille interne perçoit (c’est-à-dire une absence de mouvement)3.
  • La seconde composante est la fatigue visuelle. Elle est liée aux variations importantes et rapides de la lumière à l’intérieur du visiocasque.
  • La troisième composante est la désorientation liée à la dissociation entre le monde réel et le monde virtuel.

En France, 30 à 50 % des utilisateurs de réalité virtuelle sont touchés par la cybercinétose4. Dans la majorité des cas, ces symptômes sont légers et s’estompent au bout de quelques minutes. Cependant, certaines personnes peuvent être plus sensibles à la cybercinétose (notamment lorsqu’elles sont sujettes au mal des transports), ce qui peut affecter négativement leur expérience en réalité virtuelle. L’anxiété liée à l’apparition de ces symptômes peut également impacter la tolérance du visiocasque. Il est donc important pour les éditeurs comme Lumeen, qui développent des solutions destinées à être utilisées auprès de publics fragiles, tels que les personnes âgées vivant en EHPAD, de minimiser le risque de cybercinétose. 

La cybercinétose est plus fréquente avec les expériences qui impliquent des mouvements rapides et/ou des changements de perspective soudains. Par ailleurs concernant la durée de ces contenus, il semblerait que plus celle-ci est longue, plus le risque de cybercinétose est élevé2. L’équipe de Lumeen veille à limiter le risque de cybercinétose en concevant des expériences immersives adaptées aux publics fragiles : courtes (entre 7 et 12 minutes), calmes, apaisantes, avec des mouvements de caméra contrôlés. Chaque plan inclus dans les immersions de notre catalogue est validé par notre équipe d'experts, selon un cahier des charges exigeant pour offrir une expérience d'utilisation sûre et de qualité.

Ceci-dit, il existe actuellement peu de données sur la cybercinétose chez les résidents d’EHPAD. L’étude RAVI a donc été lancée pour en apprendre davantage sur les potentiels effets négatifs de la réalité virtuelle chez ce public en évaluant, avec un partenaire reconnu et impartial, l’acceptation et la tolérance de notre dispositif auprès des personnes âgées en EHPAD (âge moyen =  89 ans).

Tolérance et acceptation de la réalité virtuelle chez les résidents d’EHPAD : résultats de l’étude RAVI

Les résultats de cette étude clinique préliminaire ont été récemment publiés dans un journal scientifique reconnu. Nous les avons résumés pour vous ci-dessous. 

L’étude avait pour objectif principal d’évaluer la tolérance du visiocasque et des expériences Lumeen chez les personnes âgées vivant en EHPAD à travers la mesure des cybercinétoses après chaque séance. De plus, l’objectif secondaire était d’évaluer l’acceptation et l’effet du dispositif et des scènes de réalité virtuelle conçues par Lumeen sur l’anxiété des résidents et résidentes.

Le recrutement des participants s’est déroulé de juillet 2021 à janvier 2022 dans huit EHPAD d’Île-de-France*. Pour chaque participant, la période d’évaluation a eu lieu sur une semaine au cours de laquelle trois expositions à des scènes de réalité virtuelle conçues par  Lumeen ont été réalisées. Ces trois expériences immersives (vidéos en 360°) provenant de notre catalogue étaient proposées dans un ordre aléatoire (Figure 1).

Figure 1. Visualisation des trois expériences immersives de Lumeen proposées aux participants.

La tolérance à la réalité virtuelle a été déterminée à l’aide du Simulator Sickness Questionnaire (SSQ). Initialement créé pour évaluer les effets indésirables dans les simulateurs de vols, l’utilisation de ce questionnaire s’est élargie avec l’essor de la réalité virtuelle. Un score total de SSQ de 0 correspond à une absence de symptômes de cybercinétose. Un score total de SSQ entre 0 et 5 signifie que les signes d’intolérance sont négligeables. Un score total de SSQ entre 5 et 10 est associé à une intolérance minime non signifiante. Un score total entre 10 et 15 correspond à des signes d’intolérance signifiants et un score total entre 15 et 20 correspond à des symptômes inquiétants. Enfin, un score total de SSQ supérieur à 20 signifie que le simulateur est mauvais5.

L’anxiété a été évaluée via des mesures comportementales (inventaire d’anxiété État et Trait ; STAI-Y A ou B). L’état d’anxiété a été mesuré avant et après chaque séance grâce au STAI-YA. Ce questionnaire permet d’évaluer le niveau d’anxiété transitoire d’un sujet lors d’une situation spécifique potentiellement anxiogène (ici, lors de la séance de réalité virtuelle). Le trait d’anxiété a, quant à lui, été mesuré au début et à la fin de la participation à l’étude à l’aide du STAI-YB qui évalue le niveau d’anxiété général d’un sujet (qui dépend souvent de sa personnalité).

L’acceptation a été mesurée après chaque séance grâce à un questionnaire d’expérience utilisateur spécifiquement créé pour cette étude.

Figure 2. Représentation schématique du protocole au cours du temps avec l’ordre de passation des différents questionnaires.

Trente-six résidents d’EHPAD ont accepté de participer à l’étude. Parmi eux, un participant a abandonné après la première séance en raison d'un manque de motivation et deux autres en raison d'une intolérance à la réalité virtuelle qui s’est manifestée par de la cybercinétose.

Parmi les trente-trois participants (moyenne d’âge de 89 ans) qui ont complété l’ensemble de l’étude:

  • 61 % n’ont ressenti aucun symptôme de cybercinétose lors des différentes séances immersives,
  • 21 % ont ressenti des effets négligeables ou minimes non signifiants durant au moins une séance,
  • 18 % ont ressenti des effets signifiants  pendant au moins une séance sur les trois réalisées. Ces résultats sont représentés sur la Figure 3. 

Figure 3. Niveau de tolérance des participants lors des séances de réalité virtuelle.

Le trait d’anxiété des sujets n’a pas varié significativement entre avant et après l’expérience. En revanche, la moyenne des scores d’état d’anxiété associée à l’expérience de réalité virtuelle n’a pas augmenté et a même diminué de manière significative entre le début et la fin de chaque séance. Ceci est en faveur d'une bonne tolérance de l’expérience immersive Lumeen.

Lorsqu’on les interroge sur l'acceptation du visiocasque, les résidents sont très satisfaits de leur utilisation avec un score global moyen de 29,9/36 au questionnaire et ont fait part d’une intention d’usage élevée (4,31/6 en moyenne).

Le message à retenir

  • Les scènes développées par Lumeen et utilisées dans cette étude sont tolérées par la majorité des personnes âgées inclus dans cette étude,
  • Cette tolérance se traduit par une absence/peu de symptômes de cybercinétose et une diminution de l’état d’anxiété lors des séances de réalité immersive,
  • Les résidents interrogés dans cette étude sont satisfaits du dispositif et rapportent une intention d’usage élevée.

Pour aller plus loin…

Des études suggèrent que la probabilité d’être sujet à la cybercinétose dépend beaucoup des caractéristiques individuelles de chacun (sensibilité au mal des transports, le genre, l’âge, la présence d'un trouble neurologique et/ou la présence d'une phobie)6. Une étude antérieure a notamment montré que la sensibilité à la cybercinétose diminuait avec l'âge7. Dans l’étude RAVI, les analyses n’ont pas permis d’établir un lien entre les facteurs individuels des participants (âge, capacité cognitive, niveau d’anxiété et bien-être psychologique) et l'apparition de la cybercinétose. 

À noter également que l’utilisation du SSQ pour mesurer la cybercinétose présente quelques limitations. Comme expliqué précédemment, ce questionnaire n’est pas spécifique à la cybercinétose mais était initialement destiné au personnel militaire utilisant des simulateurs de vol. Ces scores de SSQ peuvent être différents dans la population générale et ont tendance à être plus élevés dans des environnements virtuels différents des simulateurs de vol8,9. L’apparition de nouveaux questionnaires validés et standardisés spécifiques à l’évaluation de la cybercinétose, telle que le Cybersickness in VR Questionnaire (CSQ-VR) par exemple, pourrait permettre à l’avenir une mesure plus précise de ces symptômes.

Remerciements

Nous remercions les auteurs de l’article Hajer Rmadi, Pauline Maillot, Romain Artico, Edouard Baudouin, Sylvain Hanneton, Gilles Dietrich et Emmanuelle Duron d’avoir d’avoir utilisé les environnements virtuels conçus par Lumeen pour mener ces travaux de recherche. Ils s’inscrivent dans le cadre du projet VIRTUAGE qui a reçu le soutien financier de la Région Île-de-France sous la forme d’une allocation doctorale « Paris Region PhD2 ». Nous remercions également nos partenaires du consortium VIRTUAGE : Gérond’if et l’Université Paris Cité.

Action soutenue par la Région Ile-de-France.

*Centres partenaires :

EHPAD Georges Léger, 4 avenue du Général Leclerc – 94600 Choisy-Le-Roi

EHPAD Résidence Zemgor, 33, rue du Marray – 95240 Cormeilles-en-Parisis

EHPAD La Roseraie, 11 rue Paul Demange –78290 Croissy-Sur-Seine

EHPAD La maison de la Chataigneraie,  35 chemin Royal – 91310 Leuville sur Orge

Maison Ferrari – Ordre de Malte , 1, place Ferrari – 92140 Clamart

EHPAD Le Hameau de Mesly, 60, avenue du Dr Paul Casalis – 94000 Créteil

EHPAD La maison des Clématites, 44, rue de la Dauphine – 91100 Corbeil-Essonnes

EHPAD la Maison du Grand Chêne, 20, rue de l’abreuvoir – 77380 Combs-la-Ville

Bibliographie

(1) LaViola, J. J. (2000). A discussion of cybersickness in virtual environments. ACM SIGCHI Bulletin, 32(1), 47‑56. https://doi.org/10.1145/333329.333344 

(2) Saredakis, D., Szpak, A., Birckhead, B., Keage, H. A. D., Rizzo, A., & Loetscher, T. (2020). Factors Associated With Virtual Reality Sickness in Head-Mounted Displays : A Systematic Review and Meta-Analysis. Frontiers in Human Neuroscience, 14, 96. https://doi.org/10.3389/fnhum.2020.00096 

(3) McCauley, M.E. & Sharkey, T.J. (1992). Cybersickness: Perception of Self-Motion in Virtual Environments. Presence: Teleoperators and Virtual Environments, 1 (3): 311–318. https://doi.org/10.1162/pres.1992.1.3.311 

(4) ANSES. (2020). Effets sanitaires liés à une exposition aux technologies de réalité virtuelle et-ou augmentée.

(5) Stanney, K. M., Kennedy, R. S., & Drexler, J. M. (1997). Cybersickness is Not Simulator Sickness: Proceedings of the Human Factors and Ergonomics Society Annual Meeting. https://doi.org/10.1177/107118139704100292

(6) Howard, M. C., & Van Zandt, E. C. (2021). A meta-analysis of the virtual reality problem : Unequal effects of virtual reality sickness across individual differences. Virtual Reality, 25(4), 1221‑1246. https://doi.org/10.1007/s10055-021-00524-3 

(7) Paillard, A. C., Quarck, G., Paolino, F., Denise, P., Paolino, M., Golding, J. F., & Ghulyan-Bedikian, V. (2013). Motion sickness susceptibility in healthy subjects and vestibular patients : Effects of gender, age and trait-anxiety. Journal of Vestibular Research, 23(4‑5), 203‑209. https://doi.org/10.3233/VES-130501 

(8) Stanney, K. M., & Kennedy, R. S. (1997). The psychometrics of cybersickness. Communication of the ACM. 40, 66–68. https://doi.org/10.1145/257874.257889

(9) Kennedy, R. S., Drexler, J. M., Compton, D. E., Stanney, K. M., Lanham, D. S., & Harm, D. L. (2003). “Configural scoring of simulator sickness, cybersickness and space adaptation syndrome: similarities and differences,” in Virtual and Adaptive Environments: Applications, Implications, and 

Human Performance Issues, eds L. J. Hettinger and M. W. Haas (Lawrence Erlbaum Associates Publishers), 247–278. https://doi.org/10.1201/9781410608888.ch12

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