07/2024
5 min

Sanitaire

La réalité virtuelle comme Intervention Non Médicamenteuse (INM)

Estelle Bonin
Estelle Bonin
Chargée d'études cliniques

Contexte & enjeux des interventions non médicamenteuses (INM)

La sobriété médicamenteuse, ou l'utilisation raisonnée des médicaments, est devenue un défi majeur pour les systèmes de santé modernes. En matière de santé publique, la diminution de la consommation de médicaments permet de réduire les effets secondaires et les risques de complications liées aux interactions médicamenteuses. Sur le plan économique, cette sobriété permet de réduire les coûts liés aux médicaments et à leur stockage. Dans certains parcours de soins, la sobriété médicamenteuse favorise une récupération plus rapide des patients, libérant des lits plus rapidement pour améliorer la performance des services. Par ailleurs, la sobriété médicamenteuse répond aux préoccupations environnementales en diminuant l'empreinte écologique liée aux produits pharmaceutiques eux-mêmes, mais aussi à leur production et à la gestion des déchets qu’ils engendrent.

Afin de limiter la consommation excessive de médicaments, de plus en plus de sociétés savantes et d’organisations d’intérêt public telles que la NPIS (Non-Pharmacological Intervention Society), la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation) et la fondation Médéric Alzheimer s’intéressent au développement des Interventions Non Médicamenteuses (INM) [1] [2]. Par ailleurs, la fondation Médéric Alzheimer a récemment intégré la réalité virtuelle dans son Guide des INM pour la maladie d’Alzheimer publié en 2024 [1]. 

Dans cet article, nous allons explorer comment l’intégration de la réalité virtuelle en tant qu’intervention non médicamenteuse peut contribuer à la sobriété médicamenteuse dans divers contextes cliniques. Nous nous appuierons sur plusieurs cas concrets pour illustrer l’impact de cette nouvelle technologie.

La réalité virtuelle en tant qu’intervention non médicamenteuse : cas cliniques concrets

Au bloc opératoire

Avant une opération, l’utilisation de la réalité virtuelle immersive permet de réduire le niveau d'anxiété préopératoire d’un patient [3], [4], [5]. Une étude réalisée chez 40 patients devant réalisée une rhinoplastie a été démontré que la réalité virtuelle permettait une baisse significative de l’anxiété préopératoire [3]. Une étude de cas réalisée chez une patiente devant subir une chirurgie de la vésicule biliaire a mis en évidence une diminution de 67% du niveau d’anxiété préopératoire grâce à la réalité virtuelle [4]. Les patients moins anxieux sont plus susceptibles de suivre les instructions données par le chirurgien, ce qui favorise la fluidité des interventions et réduit le temps opératoire. Cela va aussi permettre de limiter l’utilisation d'anxiolytiques (avant l'opération) et d’antidouleurs (après l’opération) et d’éviter les risques associés à ces médicaments. Tout ceci contribue à de meilleurs résultats chirurgicaux, une meilleure récupération postopératoire et permet ainsi de réduire les coûts globaux des soins de santé.

La réalité virtuelle immersive est également utile pendant une opération. Une revue de littérature a démontré que dans divers contextes cliniques (ponction veineuse, soins dentaires, coloscopie, soins de brûlures, endoscopie nasale, etc.), la réalité virtuelle combinée à une anesthésie locale, permet de diminuer le recours à la sédation et d’éviter une anesthésie générale [6]. Cette méthode de gestion de la douleur multimodale, conseillée par la SFAR, permet notamment de réduire la consommation de gaz anesthésiques [7], [8]. Ces gaz, polluants et mauvais pour la santé, sont faiblement métabolisés par l’homme et vont donc être majoritairement éliminés dans l’atmosphère [9], [10], [11]. En limitant l’utilisation de gaz anesthésique au bloc opératoire, la réalité virtuelle permet de limiter l’impact négatif de ces derniers sur l’environnement, et de préserver la santé des soignants.

Pendant les soins 

Comme nous avons pu le voir dans un précédent article, la réalité virtuelle immersive est efficace pour réduire la douleur aiguë, en particulier dans les cas de soins de plaies/brûlures et d’insertions d’aiguilles/cathéters. Ceci va avoir un impact positif sur la consommation d’antidouleur (opiacés). En effet, des études réalisées lors de soins de brûlures [12] ou chez des femmes atteintes d’un cancer du sein [13] ont montré que, utilisée en complément des traitements pharmacologiques habituels, la réalité virtuelle permettait une réduction de la consommation d’opiacés fort (jusqu’à 40 % de réduction chez [12]). L'abus d’opiacés forts constitue un problème de santé publique et économique, car il peut entraîner une dépendance chez le patient, affectant sa qualité de vie et nécessitant des soins supplémentaires à long terme, ce qui représente un coût pour le système de santé [14]. L’usage d’interventions non médicamenteuses, telles que la réalité virtuelle, dès l'apparition des premières douleurs, va avoir un impact positif sur la consommation de ces opiacés et sur les coûts associés. En réduisant le risque de dépendance, cette technologie permet de limiter les coûts liés aux soins à long terme pour les personnes dépendantes. 

Dans les établissements médico-sociaux 

Au-delà du domaine sanitaire, la réalité virtuelle s'avère également bénéfique dans les établissements médico-sociaux accueillant des personnes âgées ou handicapées. De nombreux soignants utilisant Lumeen sur le terrain ont constaté une diminution de la consommation d'anxiolytiques et d'antidouleurs chez les résidents âgés, en particulier lors de soins douloureux comme les pansements d'escarre (comme le montre le témoignage d’une soignante paru dans “L’Éveil Normand”, Figure 1).  La réduction de l'anxiété et de la douleur lors de soins permet de diminuer la nécessité de recourir à des traitements pharmacologique, ce qui a pour conséquence de limiter les effets secondaires indésirables de ces médicaments, souvent importants chez les personnes âgées et fragilisées.

Extrait de l'article : "Les soignants ont pu constater qu'après ces séances, certaines personnes en état d'angoisse, et auxquelles il est d'habitude nécessaire d'administrer un anxiolytique pour es soulager, n'en ont pas eu besoin après la séance au casque virtuel."

Figure 1 : Extrait d'un article paru dans le journal l'Éveil Normand le 5 juin 2024.

La réalité virtuelle peut également être utilisée pour réduire les troubles de l’humeur dont l’apathie. En effet, bien qu’encore peu nombreuses, des études montrent des résultats encourageant concernant l’utilisation de cette technologie dans la prise en charge des symptômes comportementaux et psychologique des démences avec notamment une diminution des scores d’apathie pendant les séances de réalité virtuelle [15], [16]. L'apathie peut conduire à une utilisation accrue de médicaments, tels que les antidépresseurs, les anxiolytiques et les hypnotiques, car les cliniciens peuvent la confondre avec de la dépression ou de l'anxiété. En stimulant l'engagement et l'intérêt des patients, la réalité virtuelle va avoir un impact positif et significatif sur la sobriété médicamenteuse, contribuant ainsi à améliorer le bien-être général et la qualité de vie des patients.

Le message à retenir

En favorisant le développement d’intervention non médicamenteuse comme la réalité virtuelle et en adoptant une approche plus responsable et plus durable de la consommation de médicaments, nous pouvons améliorer la qualité des soins, faire des économies et contribuer à la préservation de l'environnement.

Lumeen s’engage pour promouvoir la sobriété médicamenteuse et aider le système de santé. Récemment, Corentin Metgy, co-fondateur et président, a pu s’exprimer à ce sujet au forum annuel de l’Agence du Bon Usage du Médicament (ABUM). Vous pouvez retrouver son intervention ci-dessous :

Pour aller plus loin

Références

[1] Y. Fondation Mederic Alzheimer, « Intervention non médicamenteuses et maladie d’Alzheimer », 2024. Consulté le: 7 juin 2024. [En ligne]. Disponible sur: https://www.fondation-mederic-alzheimer.org/wp-content/uploads/2024/03/guide-inm_edition-2024_francais.pdf

[2] N. Stoicea, A. Costa, L. Periel, A. Uribe, T. Weaver, et S. D. Bergese, « Current perspectives on the opioid crisis in the US healthcare system: A comprehensive literature review », Medicine (Baltimore), vol. 98, no 20, p. e15425, mai 2019, doi: 10.1097/MD.0000000000015425.

[3] A. D. Baytar et K. Bollucuoglu, « Effect of virtual reality on preoperative anxiety in patients undergoing septorhinoplasty », Braz. J. Anesthesiol. Engl. Ed., vol. 73, no 2, p. 159‑164, mars 2023, doi: 10.1016/j.bjane.2021.08.014.

[4] A. Flores et al., « Using Immersive Virtual Reality Distraction to Reduce Fear and Anxiety before Surgery », Healthcare, vol. 11, no 19, p. 2697, oct. 2023, doi: 10.3390/healthcare11192697.

[5] L. Ganry, B. Hersant, M. Sidahmed-Mezi, G. Dhonneur, et J. P. Meningaud, « Using virtual reality to control preoperative anxiety in ambulatory surgery patients: A pilot study in maxillofacial and plastic surgery », J. Stomatol. Oral Maxillofac. Surg., vol. 119, no 4, p. 257‑261, sept. 2018, doi: 10.1016/j.jormas.2017.12.010.

[6] R. Hitching et al., « The Emerging Role of Virtual Reality as an Adjunct to Procedural Sedation and Anesthesia: A Narrative Review », J. Clin. Med., vol. 12, no 3, p. 843, janv. 2023, doi: 10.3390/jcm12030843.

[7] L. Bonnet, J. Muret, et J.-C. Pauchard, « Réduction de la pollution par les gaz anesthésiques inhalés ».

[8] E. M. Hafiani, J.-C. Pauchard, J. Muret, M. Bruyere, et L. Bonnet, « Réduire/supprimer l’utilisation du protoxyde d’azote ».

[9] M. K. Vollmer et al., « Modern inhalation anesthetics: Potent greenhouse gases in the global atmosphere », Geophys. Res. Lett., vol. 42, no 5, p. 1606‑1611, mars 2015, doi: 10.1002/2014GL062785.

[10] J. F. Boivin, « Risk of spontaneous abortion in women occupationally exposed to anaesthetic gases: a meta-analysis. », Occup. Environ. Med., vol. 54, no 8, p. 541‑548, août 1997, doi: 10.1136/oem.54.8.541.

[11] K. Teschke et al., « Exposure to anesthetic gases and congenital anomalies in offspring of female registered nurses », Am. J. Ind. Med., vol. 54, no 2, p. 118‑127, févr. 2011, doi: 10.1002/ajim.20875.

[12] T. McSherry, M. Atterbury, S. Gartner, E. Helmold, D. M. Searles, et C. Schulman, « Randomized, Crossover Study of Immersive Virtual Reality to Decrease Opioid Use During Painful Wound Care Procedures in Adults »:, J. Burn Care Res., p. 1, mai 2017, doi: 10.1097/BCR.0000000000000589.

[13] M. Ahmad, E. Bani Mohammad, E. Tayyem, E. Al Gamal, et M. Atout, « Pain and anxiety in patients with breast cancer treated with morphine versus tramal with virtual reality », Health Care Women Int., vol. 45, no 7, p. 782‑795, juill. 2024, doi: 10.1080/07399332.2023.2257627.

[14] A. M. Dydyk, N. K. Jain, et M. Gupta, « Opioid Use Disorder », in StatPearls, Treasure Island (FL): StatPearls Publishing, 2024. Consulté le: 5 juin 2024. [En ligne]. Disponible sur: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK553166/

[15] R. E. Brimelow, B. Dawe, et N. Dissanayaka, « Preliminary Research: Virtual Reality in Residential Aged Care to Reduce Apathy and Improve Mood », Cyberpsychology Behav. Soc. Netw., vol. 23, no 3, p. 165‑170, mars 2020, doi: 10.1089/cyber.2019.0286.

[16] D. Saredakis, H. A. Keage, M. Corlis, et T. Loetscher, « Using Virtual Reality to Improve Apathy in Residential Aged Care: Mixed Methods Study », J. Med. Internet Res., vol. 22, no 6, p. e17632, juin 2020, doi: 10.2196/17632.

Crédit photo : Coline Bachelier

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